Liberté, égalité, choucroute : Société, sécession, cinéma


Ça ira, ça ira ou ça n’ira pas, cela ne va déjà plus, et la roulette (russe) s’affole, et la mise consiste en vies dévaluées, étalées à terre sur le tapis vert – nécessité de se poser (des questions), de souffler (sur les braises), de relever la tête (coupée ou pas)…  


I know what I am talking about when I am talking about the revolutions. The people who read the books go to the people who can't read the books, the poor people, and say, «We have to have a change». So, the poor people make the change, ah? And then, the people who read the books, they all sit around the big polished tables, and they talk and talk and talk and eat and eat and eat, eh? But what has happened to the poor people? They're dead! That's your revolution. Shhh... So, please, don't tell me about revolutions! And what happens afterwards? The same fucking thing starts all over again! 

Juan Miranda, Il était une fois la révolution

I

Redonnez-nous le soleil et nous ferons la révolution un autre jour, mon amour.

Rapportez-nous la mer, le sable, la chaleur, les gamines en string à Ipanema, les barbecues entre amis, l’anis frais, la montagne en été, les congés payés avec le sang durant le reste de l’année dévorée.

Rendez-nous les pénis et les vagins afin d’y enfouir nos peines et nos vagues à l’âme, les criques lubriques, les parades d’hormones, les régimes misogynes décrits dans les magazines dits féminins, des étreintes estivales d’adolescents immortels protégés au latex.

Offrez-nous des bronzettes où incubent nos cancers vivaces, nos mélanomes pugnaces, là sous la peau, quelques centimètres à peine sous l’épiderme enduit de crème et pourtant rougi malgré les campagnes hygiénistes, les préventions étatistes.

Servez-nous au quotidien des enfants à sodomiser, des femmes à éventrer, des vieillards à maltraiter, car nous raffolons de ces atrocités trois fois dans la journée, de préférence à l’heure des repas, car sans elles, comment épicer, rassurer, nos vies vulgaires et banales ?

Organisez-nous des festivals du cinéma, histoire de mater les stars derrière des barrières de sécurité, d’admirer leurs pieds nus sur les marches rouges en velours, de faire concourir des films comme aux comices agricoles, de leur décerner des prix palmés.

Cédez-nous du sport filmé à la TV, à consommer vautré sur le canapé, cet accessoire primordial de la scène primitive du X numérisé, de la logorrhée de sitcom, le premier déversé dans la seconde et inversement.

Élisez-nous des présidents parvenus, méprisants, des ministres arrogants et incompétents, appliquant, en toute impunité, vulgarité, sans une once de légitimité autre qu’institutionnelle (ah, cette belle et terrible tentation insurrectionnelle), la démocratie du 49-3.

Informez-nous de gosses de riches classés gauchistes incendiant une bagnole de police, de blocages corporatistes, d’émois bourgeois, de décorations en chocolat, de déclarations indécentes proférées par d’imbuvables donneurs de leçons indignes d’une balle au front.   

Cartographiez-nous un petit pays à l’agonie, nostalgique de sa feinte grandeur, gouverné par la peur, émietté en communautés, en intérêts spécialisés, en territoires républicains paraît-il perdus, en poches préservées de tourisme eugéniste élues villages préférés des Français. 

Louez-nous des appartements minables dans des viles avilies, une pollution polymorphe pour nos poumons d’acier nécrosés, ainsi nous pourrons vite courir à l’hôpital public juste avant le grand déremboursement et, qui sait, avec un peu de chance, attraper une saleté.   

Inventez-nous Internet pour perdre notre temps, notre vue, nous donner l’opportunité tarifiée de cracher notre bile inoffensive, surveillés à distance par les Mabuse de la cybercriminalité, dénoncés par les concierges vichystes, démasqués par notre adresse IP.

Emprisonnez-nous dans un corps pour jouir et souffrir, pisser, chier, saigner, pleurer, se blesser, se caresser, se faire opérer, décapiter, enfanter, tendre vers l’éther et boire goulûment au Léthé, se (dé)battre au quotidien ou bien, enfin, savourer un salutaire suicide.   

Ouvrez-nous après notre mort les portes de tous les supermarchés familiers, lieux de culte climatisés plus fréquentés que les églises et même les mosquées, royaumes immanents remplis d’aimables abominations conçues pour relancer la consommation.

Parlez-nous comme à des imbéciles, à des béotiens, à des ingrats, pire qu’à des chiens, parlez-nous pour ne rien (nous) dire, dans une langue exsangue, circonscrite à deux ou trois centaines de mots fonctionnels, fictionnels, impersonnels, générationnels.

Poignardez-nous la poésie et surtout les poètes, baisez la beauté à sec, brûlez les livres inutiles, lacérez les toiles intérieures, cassez les jambes des cruelles chorégraphies, percez les tympans juvéniles, effacez jusqu’à l’idée même de grandeur dans le secret de nos cœurs.  

Traitez-nous de l’unique façon qui convienne : mal, encore plus mal, à la dure, à coup d’impostures, de messes basses dans les coulisses, nous méritons cela, nous implorons ce traitement, tant la vraie liberté, sauvage, indépendante, responsable, nous effraie.

Enfoncez-nous au fond de la gorge et du cerveau, de l’anus et de l’œil, vos tombereaux d’horreurs si colorées, si acidulées, si agitées ; vous connaissez mieux que nous notre incapacité à nous passer du divertissement qui nous égare si joliment.

Apprenez-nous à voter, à favoriser le renouveau des énergies, à prendre soin de notre nutrition journalière, à dire non à la drogue, à l’alcool, au tabac, à la violence domestique, à la vitesse au volant, faites retentir la sirène télévisuelle des alertes enlèvements.

Maquillez-nous les statistiques, les études sociologiques, abreuvez-nous de chiffres, de données, d’identifiants, de mots de passe (à défaut de maison, politiquement incorrectes), proposez-nous de merveilleux forfaits et d’affolantes formules pour nos funérailles.

Reliez-nous les uns aux autres pour mieux nous atomiser, nous assourdir, nous asservir, nous conforter dans l’illusion d’une parole libre et respectée, écoutée, prise en compte, violez avec notre consentement les derniers lambeaux de l’hymen de notre intimité. 

Achevez-nous via la défense de nos droits, le décès dans la dignité, les substituts de salaires, le déguisement de la réalité sous des euphémismes ou des sigles, tenez-nous la main tout au long de notre défaite programmée, quitte à la couper s’il lui prenait l’envie de (se) dérober.

Puis contemplez-vous à notre miroir, constatez la parfaite ressemblance entre vous et nous, dédoublement désolant à la source des innombrables blessures, salissures, meurtrissures, et sachez qu’en nous exterminant, vous érigez vos propres gibets.         

II

Au théâtre, la réplique n’existe que dans l’instant  de son énonciation : pas de seconde chance pour le comédien qui la profère, bien ou mal, au bon moment ou à contretemps (timing mécanique de la comédie), enfin chez lui sur scène ou guetté par le trac, à l’aise dans le maquis mnémotechnique du texte ou trahi par sa mémoire ; d’où l’inutilité de lire des pièces, exercice autiste dont la stérilité rejoint, pour les dépasser, celle du survol de scénario ou du parcours de partition. Certes, la musique des mots ou des notes peut se laisser entendre, son charme agir dans la solitude silencieuse, individuelle, excentrée, mais l’œuvre ne se réalise, ne se concrétise, que dans son exécution publique, sa représentation éphémère, unique, fleuve (voire rivière) jamais identique, chaque soir différent, renouvelé, modifié par le lieu de son avènement, comme la physique quantique inclut dans le résultat de l’expérience ses conditions d’élaboration et de perception, en souligne l’interaction subjective. Les arts dits vivants relèvent de l’événement, tandis que les expressions de conservation (boîtes de conserve, jugent les mauvaises langues) s’en détournent et l’abolissent par le déploiement infini, itératif, d’un champ des possibles, à peine limité, figé, par les contraintes économiques, matérielles et temporelles, de leurs industries respectives.

On peut réenregistrer une chanson, refaire une prise, réécrire une phrase. Le disque, le film et le livre, sages sarcophages dépendant de la technologie, de systèmes d’enregistrement, de lecture, de distribution et d’exploitation, de relais commerciaux (claires librairies, salles obscures, plates-formes de téléchargement, légal ou pas) et municipaux (médiathèques, ciné-clubs, bibliothèques), attendent leur exhumation facile et quotidienne, afin de témoigner d’un choix, d’une forme parmi des milliers. Unicité contre multiplicité, apparition contre reproduction, durée contre mémoire, participation contre passivité, existence contre archéologie, vitalité contre spiritisme – les oppositions à foison, volontiers schématisées, au risque du clivage simpliste, demeurent cependant révélatrices de chaque domaine esthétique, avec pour point commun et foyer partagé la triple tangente du corps, du sens et du vide. Les hommes créent avec leur chair, leur voix, leur énergie, cernés par l’absurdité de leur destin, désireux de célébrer une quelconque divinité, de satisfaire un monarque, de vendre un produit (culturel selon le goût social), en preuve de passage, en réponse provisoire à des questions irrésolues, en tentative de combler avec/en beauté un manque fondateur, d’y substituer l’évidence fragile de leur brève présence, avant l’engloutissement banal de la mort iconoclaste.

Les artistes, inconnus, subventionnés, précaires, officiels, ceux qui méritent ce nom ou l’usurpent, vrais soleils noirs ou piètres étoiles clignotantes au ciel encombré de la société spectaculaire, spéculaire, totalitaire, cristallisent et informent les aspirations de la masse, la bercent de romances, la soignent par des placebos, la consolent de ses lâchetés, parfois la scandalisent sur un malentendu ou la révèlent à elle-même avec une cruauté à chérir, qui fait vraiment grandir, et toujours inférieure à la morsure du réel (le danger des planches reste mesuré, surtout dispensé face à des enfants dans un hôpital, prodigué en parenthèse compromise, salvatrice, par temps guerrier). La révolution, circularité astronomique et balistique, s’impose, par sa seule désignation, en phénomène répétitif condamné à revenir à son point de départ, à l’origine (ordre) mise à nu (maintenu) du monde injuste, et l’art ou la science, cette sœur infidèle, sectionnée, sculptrice planétaire modélisant l’univers, matrice orphique dont surgit l’anéantissement ultime, le superbe et suprême brasier nucléaire, installation-sidération bien plus évocatrice et radicale que les mobiles de musée, savent en devenir les auxiliaires dociles, les muses complices. Ce conservatisme déguisé sous les audaces de la création, de l’explication, de l’interprétation, artistique ou scientifique, soutient l’ensemble de l’édifice social, en assure l’infrastructure surplombante, au côté du régime politique (démocratie, dictature) et financier (capitalisme, communisme) installé.

Là encore, les temporalités s’affrontent en surface, l’urgence révolutionnaire rêvant de retrouver l’éternité de l’utopie ou l’alternance mythique des remplaçants. Il presse de perdurer, il tarde d’entériner le passé, revêtu d’habits à la mode (le vert pâle de l’écologie, le brun blanchi des extrémismes). Si le renversement, dans sa finalité insoupçonnée, généreuse avec les idéaux d’autrui, vise la continuité, la reprise du drame avec une mise en scène, une troupe, une diction, un rythme, à peine modifiés (pour un dénouement identique, on s’en doute, l’insatisfaction généralisée provoquant un nouveau soulèvement, inscrit dans la chaîne rassurante des mouvements immobiles), l’insurrection mise sur la ponctualité, le coup de sang populaire, l’affrontement physique et localisé. Elle ne consacre pas une seconde au projet d’amélioration, à sa rédaction théorique, elle passe directement aux travaux pratiques, elle fonce tête baissée dans le mur gouvernemental, lui offrant par conséquent toute latitude (démagogique) pour répliquer à son avantage, en arrogant gardien du droit, de la sûreté des biens et des personnes, en assureur des vitrines et du Surmoi. Cette carence d’assises idéologiques, une chance supposée après un siècle propice aux insanités du dogme hitlérien, stalinien, maoïste, explique en partie l’échec des groupuscules anarchistes des années 1900 et suivantes jusqu’à nos jours. Ici règnent l’esprit de clocher, la vindicte incestueuse, l’exclusion sans sommation, les discours obscurantistes, désincarnés, stéréotypés, ressassés entre fraternels ennemis au périmètre réduit.

Contrairement à cet élan centripète, le terrorisme contemporain essaime et joue la carte informatique du recrutement hollywoodien, du romantisme de la transcendance, du dépassement par la prière, du paradis promis aux serviteurs de la cause sacrée. Vieilles recettes de l’Europe bourgeoise et en crise pétrolière de naguère, vengeances œdipiennes en Allemagne et en Italie, remises au goût du jour misogyne, hyperbolique, la condamnation sociétale se voyant (littéralement, en direct, en temps dénommé réel, sur tous les écrans de la fiction avérée, mondialisée) élargie aux dimensions d’un conflit de civilisations, de religions, masques tragiques sous lesquels se dissimulent une béance identitaire et un malaise moral insondables, pas inexplicables, comme une variation décuplée, explosive, narcissique, de l’étrangeté existentialiste. Le cinéma, art de la préservation, de la transmission, abandonnant au théâtre la sensation, l’incarnation, devient un langage d’embrigadement islamiste, une source d’inspiration et d’entraînement pour les interventions américaines en Irak, un méta récit collectif bouclant la boucle avec des films prophétiques et rétrospectifs, la répétition du défilement des images alignée sur le bégaiement de l’actualité, le ressassement des tropes patriotiques – à l’échelle de valeurs supérieures suffisamment vagues pour s’avérer consensuelles, sacrificielles, telles la liberté, l’égalité, la solidarité – harmonisé sur le piétinement des troupes, au moral à soutenir, aux vétérans à honnir (ou soigner), pieux mensonges à message non plus en illustrations, à l’obscène douceur, d’un hypothétique irreprésentable, mais paravents plus ou moins captivants placés devant une invisible guerre à corriger, monter (surtout pas montrer), remaker au besoin.

Imaginons Kirilov, avec ou sans turban, pourvu d’une barbe ou glabre, citoyen belge ou apatride sis dans l’arène vidéo, affirmant, à l’inverse de son avatar littéraire, la survivance de Dieu et l’abolition de toute permission (compromission). Le nihilisme à visage humain aime à s’adorer dans son reflet télévisé, pixélisé, au-delà immédiat qu’il meurt d’envie de regagner grâce aux armes lourdes, aux massacres d’écoliers, de caricaturistes, de spectateurs. Avec sa guérilla interminable, modulée, dans les rues de Paris ou Tel-Aviv, en Afghanistan ou en Afrique, avec ses patronymes métamorphosés, ses rhizomes de succursales, de dissidences, d’antennes, avec ses boutiques en ligne et son implantation dans les quartiers paupérisés de partout, pas uniquement ceux des banlieues de capitales hexagonales (la surveillance du territoire procède aussi de la cartographie, au carrefour de la statistique, tout sauf ethnique, mystique républicaine oblige, de l’urbanisme et de la criminologie), le terrorisme baptisé religieux emprunte à la révolution sa chronologie différée, à l’insurrection, ses accès stupéfiés de violence, cancer métastasé travaillant en réseau ou cellules singulières à la ruine du corps social occidental, dont il fait bien sûr partie, par naissance, langue, imaginaire fantasmatique, héritage historique, cette appartenance redoublant sa rage froide et artisanale, amplifiant sa pugnacité méthodique ou improvisée.

Davantage qu’une illusoire altérité, démentie par l’espéranto de la génétique, par la pauvreté pandémique, on cherche à exterminer ce qui nous ressemble, à mettre un terme à son insupportable proximité, spatiale et mentale, à se réinventer en croisé faussement musulman (victimes itou, sinon premières et principales). Le ressassement des épisodes contestataires fatigue autant que l’usure des jours, que l’écume nocturne déposée sur l’oreiller, que la face méconnaissable recroisée au matin dans la glace carrée, ce cadrage géométrique adopté par les preneurs d’otages cagoulés, pour leurs exactions relayées ou à dissimuler (ne pas désespérer Billancourt, ne pas froisser les sensibilités scopiques). L’insurrection, l’anarchisme, la révolution, le terrorisme, chapelet de positions inconfortables, de possibilités impossibles, de terrains minés explorés avec l’on sait quels résultats (et réussite désastreuse). Que s’élaborent, alors, d’autres stratégies de libération, d’ascension, d’éjaculation. Que prennent corps, par-delà la page codée, une résistance à tous les niveaux, de tous les instants, à remodeler, à accomplir sans héroïsme ni défaitisme. L’altermondialisme, l’humanisme, l’écologisme, la somme inépuisable des ismes soldés, remâchés, gentillets, que les gardent ceux qui croient encore au grand soir mais pas à la longue nuit, ceux qui, Janus dos à dos, manifestent, cassent, tabassent, votent, rabâchent, pérorent, ricanent, se victimisent, se mobilisent, se lavent les mains du prochain, pratiquent la charité en chansons, louent la cinéphilie récréative, créative, continuent à croire au débat, à la force, aux frontières, à l’immunité monétaire et nationale. Voici l’unique alternative, en définitive : se transformer sans tarder ou s’éteindre à tout jamais.                  

III

Peut-être que l’on se trompe depuis le début. Que le cinéma ne mérite pas notre passion ni notre écriture. Qu’il ne mérite rien. Finalement. Pas même du mépris. Tout ce temps passé à regarder une imitation de la vie. Tout ce temps perdu qui ne reviendra jamais plus. La vie rugissait pourtant au-dehors. Une réalité enterrée vibrait à l’extérieur. Tant de corps à étreindre. Une infinité de visages. De paysages. De quoi occuper une vie entière. L’épuiser dans la félicité blessante. Et alors ? Qu’attendre de ceux qui s’abritent dans des tombeaux isothermes ? Au sein des cimetières en été ? Entre les pages dépassées ou les coursives immobiles des musées ? Un casque vissé au crâne. Un regard levé au ciel antérieur. Pas grand-chose. Rien. Sans doute. Maladie honteuse et populaire de la cinéphilie. Platonisme d’adolescent. Affaire de fric. L’insulte américaine du mot art. On ne saurait leur donner entièrement tort. Delerue s’y exila. Y décéda. La façon dont on traite la culture dans ce pays. Entre étatisme. Mécénat. Intermittence. Corporatisme. Bonne conscience. Bénévolat. Désormais financement participatif. L’argent demandé autrefois à sa tante. Ses amis. Sa petite amie. L’argent probablement. Rechercher une certaine sécurité. Nathalie Baye déclarant jadis toucher des allocations chômage. Comme si l’économique pouvait se dissocier de l’esthétique. Ne nous parlez pas de politique. Laissez-nous rêver. Priser le peu de beauté. Là sur l’écran. À portée de main. À quelques mètres d’un destin. D’un festin. Le faisceau fabuleusement fasciste nous enchaîne aux images améliorées de nous-mêmes. Jusque dans l’abjection nous nous ébrouons. Il ne suffit pas de se leurrer. Il convient de s’humilier. De remercier la main du petit maître tournant la manivelle. Appuyant sur le bouton. Réclamant l’action des simulacres afin de réduire à l’inaction les spectateurs volontaires. Qui n’attendent que ça. Qui attendent si peu d’eux-mêmes. Une place achetée le mardi garantit une place gratuite. Opérateur de téléphonie mobile pourvoyeur de rabais en multiplexe. Croissez et multipliez. Reproduisez l’état des choses et vos rejetons sans mémoire. Mercredi jour des enfants. Des grands enfants de quarante ans ou plus en file docile à l’entrée du sépulcre qui sent le pop-corn et des dizaines d’autres saloperies à s’empiffrer. Accompagnement au piano du muet. Accompagnement au prorata de la glycémie. Lénine ou Vertov et l’opium. Pas le même. Presque. Religion de l’image et image des religions. Un siècle laïc durant des croyances iconoclastes. Une foi taillée sur mesure. Mesure du réel à la démesure des discours. Une impuissance nous saisit à embrasser l’expérience du monde. Nous vivons chacun dans le nôtre. Celui-ci cousu dans l’étoffe des cauchemars aimablement fournis de la naissance à la mort. Indiscernables du reste. Avec lui confondus. Quand le référent vient à disparaître de la conscience elle-même ne demeure qu’un vague malaise. Une douleur lancinante. Prescription de morphine et d’anamorphose. Le septième art de corbillard. Cachez ce dessein que je ne saurais voir. Enfoncez l’humanité tout au fond de votre fosse. Voici le lieu. L’ultime locomotive. Le dernier motif irreprésentable de la représentation. Chambre noire et chambres à gaz. Angle mort des actualités reconstituées. Heureusement pour eux ils conservèrent les costumes à rayures. Une maquilleuse russe effectue un raccord sur un figurant malingre. Allez parler de révisionnisme après. Après quoi ? Après les passeurs et les cinéfils ? Les cahiers jaunes et les vagues internationales ? La modernité de Fellini. Antonioni. Hitchcock. Powell. Godard. Stop ou encore ? De la rupture pour quoi faire sinon réinventer notre manière de voir et de vivre. Implosion de la narration. Disparition du sujet. Abolissement de la structure projetée. L’aventureuse touriste embourgeoisée s’évanouit sans fin entre les rochers. La voleuse charmeuse. Immaculée. Esseulée. Sous la douche elle n’en finit pas de hurler. Chuter. Fixer le vide d’un œil translucide. Auparavant un drain pour évacuer les résidus d’hier. Toutes ces consolantes imageries enfantines ordonnées et aux ordres. Bien propres sur elles. Bienvenue à l’abattoir. Chez vous. Dans votre miroir. Le cinéma classé d’horreur laisse vos mains moites. Cœur battant et battu. Obscurcissement instantané ou momentané. Tel l’orgasme du reste. Telle la tête coupée roulant délicatement dans le panier en osier de l’échafaud. Et la colère au bord des larmes de Rod Steiger chez Leone. Le dindon de la farce tragique. L’éternel péon cocufié. Le charme canaille des activistes teutons ou transalpins. Les filles amoureuses de Baader. Les lèvres rouges des brigades. Une gare et un film qui sautent. Différemment. Pareillement. Révolution au cinéma et dans ce qui le nie au quotidien. L’épuise et le rend caduc. Tuer des hommes pour tuer des idées. Mais les coercitions subsistent et les crimes s’accumulent. Meurtres ou attentats en répliques modélisées de la violence étatique. La justifiant par l’absurde et le sang. La légitimant dans ses maléfices autorisés ou réclamés. Alliés objectifs et entente transparente. Instrumentalisation des captations. Appareils d’État et de prise de vues. Rodeur sur le seuil et rêveurs dans les salles. Du cinéma en ersatz. En lot de consolation qui console quatre-vingt-dix minutes. S’injecter dans la pupille une diversion relative. Forer la fovéa pour atteindre des pleurs de contentement. Accommoder sa vision et s’accommoder du monde tel quel. Légion écrit à l’international. Il tapote et donne son avis de vieille fille. De tribun falot. De nostalgique lobotomisé. Le bon vieux temps de nos meilleures jeunesses. Qu’elles aillent se faire mettre. Soumettez-vous ou bien démettez-vous. Vitres brisées. Sondages en berne. Déficit d’image. Pénurie d’essence. Raffinées raffineries à confisquer en confiseries cégétistes. Marche ou crève. Va à vélo. Énergie verte et voleur de bicyclette. Providentielles inondations et incendies perturbant des projections pas très catholiques. Des mots vomis à la minute. Une aphasie à sa guise. Œdipe se crève les deux yeux pour mieux voir l’origine du monde et le père éternel. Pauvre diable truqué. Pauvres guignols paradant sur le petit écran. Qui ose écrire les dialogues obscènes de cette attristante comédie ? Qui nous délivrera du bien ? Du bien qu’ils nous veulent tous. Qu’ils nous imposent. Vers lequel nous aspirons de toutes nos faibles forces et pendant le court temps intégral de nos existences infinitésimales. Alors s’exiler ? Escalader la paroi dangereuse ? Se jucher au sommet des Alpes intérieures ? Regagner en heureux ermite la réclusion de la sécession ? Se déconnecter du réseau risible ? Une autre solution. Une échappatoire définitive. Le beau couteau du giallo repose sur la table de nuit. Il ne faudra pas trembler. Se louper. Gare à l’incision maladroite. Au remords tardif. Pas de seconde chance. Rien qu’une prise unique. Une prise maximale de risque. Quand la ville dort trépasse le marchand de sable. Tu trouveras bien la dernière des putains pour te seconder. Pour t’assister en assistant à ta plus grande défaite. Elle sentira aussi bon que la mort en public de l’Autrichienne au milieu de la foule agressive. Tous nous montons sur scène. Tous en scène pour la vibrante cérémonie. Au moment où s’abat la lame aiguisée une extase légendaire émane de la foule réconciliée. Un mouchoir parfumé. Une trace effacée. Une évasion intériorisée. 

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Les Compagnons de la nouba : Ma femme s’appelle Maurice

La Fille du Sud : Éclat(s) de Jacqueline Pagnol

L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot : Le Trou noir