La Vénus à la fourrure : Audition


Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Roman Polanski.


Accompagné du thème guilleret (à la saveur yiddish) d’Alexandre Desplat, travelling avant dans une allée parisienne arborée, par un soir d’orage (éclairs numériques), puis panoramique à droite et entrée en POV dans un théâtre dont les murs s’ornent d’affiches de La Chevauchée fantastique (Ford relisant Maupassant, éloge d’une putain bien plus noble que ses bourgeois voisins) traduit en musique ; au fond de la salle, le metteur en scène, au téléphone, se plaint auprès d’une compagne invisible de sa piètre journée de « recrutement » – coupe de contrechamp sur Emmanuelle Seigner, mouillée, légèrement défaite, dans l’expectative et déjà prête au combat.

Nous ne sortirons plus de la pièce (double acception) diversement – console d’éclairage et soir envahissant – plongée dans la pénombre (beau travail de Paweł Edelman), conviés à un huis clos ironique, réflexif, métaphorique, aussi jovial que du champagne, aussi vide que ses bulles.

Tandis que Mathieu Amalric l’imite à la perfection, par l’allure, la voix et l’esprit (il se veut adaptateur, ne joue jamais à l’auteur, répugne à expliciter les comportements, à les rattacher à des « phénomènes de société » médiatiques), le réalisateur offre à sa muse un rôle de déesse charnelle et spectrale, « genre » bacchante, venue (gentiment) châtier un mortel masculin assez peu charitable envers le « deuxième sexe » (« Une partie habillée en pute et l’autre en goudou » gémit-il au sujet des postulantes désolantes).

Le petit démiurge infantile, adultère, prévenant (« Il doit rester du gigot au frigo »), finira ligoté par des menottes SM à un cactus phallique géant, damné (faustien) maquillé, chaussé d’escarpins, par la belle lui accordant une sorte de danse des sept voiles à la Tantale, avant de s’éclipser, sans se donner, dans la coulisse, la citation biblique sur Judith une fois de plus énoncée, au cas où le spectateur (double sens) s’interrogerait sur la moralité de la fable mentale (les féministes et les « défenseures des droits de l’enfant » se gaussent sans doute de la morale du cinéaste et de ce film en particulier, mais nul artiste ne se réduit à sa biographie, et moins encore un gosse du ghetto de Varsovie épris d’une actrice enceinte éventrée avant de s’improviser reclus dans son chalet suisse).

L’œuvre se voit avec un constant sourire sur les lèvres, reflétant celui de de Vanda Jourdain (oui, comme chez Molière), maîtresse de la marionnette, qui sait son texte sur le bout de ses doigts aux ongles rouges et arborera bientôt une impressionnante combinaison noire de dominatrice rigolarde, cuissardes à la Barbarella comprises (dernière note sur la fermeture Éclair remontée, amusant fétichisme-synchronisme sonore).

Davantage que le roman sympathique, surfait, de Sacher-Masoch, leurs rapports évoquent la filmographie du maître franco-polonais (ou l’inverse), La Vénus à la fourrure constitue ainsi un musée de poche (Seth Brundle et son armoire à pharmacie/mausolée de son humanité dans La Mouche) dédié à l’univers claustrophobique, psychotique, drolatique de Polanski, qui possède suffisamment d’humour, de distance (notamment vis-à-vis de lui-même, de sa persona, quelque part entre le génie « dérangé », l’épouvantail judiciaire, la victime du « puritanisme US ») et de « résilience » pour échapper avec élégance au piège du narcissisme (on pourrait lui reprocher d’autres complaisances, pas celle-là).

Adapté d’un succès de Broadway en compagnie de l’auteur David Ives, par ailleurs librettiste en renfort du Bal des vampires perfusé en musical, ce film court et simple va vite et bien, chaque plan (et son, jusqu’au bruitage discret d’une tasse de thé mimée) démontrant la virtuosité classique du cinéaste, son éloquent timing, l’excellence de son montage (signé de Margot Meynier et du fidèle Hervé de Luze, connu depuis Tess), la précision « diabolique » des angles, caractéristiques louées ici même à propos du piètre Carnage.


Hélas, sa Vénus à lui (cf. notre avis sur celle, plus « fidèle » et en noir et blanc, de Maartje Seyferth & Victor Nieuwenhuijs) pâtit de défauts similaires, exsangue d’enjeux véritables et d’émotions avérées, au-delà du sourire d’intelligence complice.

Des items empruntés principalement au Locataire ne suffisent pas à faire un film, ni assurer sa réussite, bien que la leçon de cinéma s’avère imparable, remarquable (et à juste titre récompensée aux dérisoires César).

Reste Emmanuelle Seigner, actrice singulière, chanteuse acidulée, comédienne moins populaire que sa sœur (récemment et scolairement prise en levrette sur TF1 en prime time pour Sam), irritation des critiques et des « professionnels de la profession » (son absence de prix à Cannes souligne la perspicacité du jury).

Grâce à elle, le catalogue s’anime, le caveau un peu trop sûr de lui respire : érotique, mélancolique, fantastique, sa Vanda (à ne pas confondre avec la Wanda littéraire, adepte de la cravache et inspiration du Velvet Underground) éclaire et assombrit un divertissement inoffensif et nostalgique (puisque le monde extérieur disparaît totalement, à l’instar du H identitaire de la façade au dernier plan, l’intrusion de la virago féministe peut se lire en revanche politique ou psychanalytique, en « retour du refoulé » ardemment désiré), synthétise et sublime ses précédentes apparitions-incarnations devant la caméra énamourée de son brillant Roman, de Frantic à La Neuvième porte en passant par Lunes de fiel.

Foyer noir et matrice pudique, vulgaire et souveraine, manipulatrice et fragile, menteuse et sincère, maternelle et mortelle, Vanda/Emmanuelle se love avec brio dans l’écrin autarcique, y déploie la gamme étendue de son talent, mène le pauvre Tom par le bout du nez – et nous itou.

De ses yeux de cariatide et de cadavre, de femme drôle et discrète, semble sourdre une insondable tristesse, quand elle écoute les délectables malheurs d’enfance du « pervers » Séverin.

Durant ces quelques secondes, Emmanuelle Seigner révèle d’elle-même quelque chose lui échappant peut-être, assurément, malgré l’admirable contrôle de son jeu, sa puissance évidente, sa sûreté indéniable, et Roman Polanski parvient à saisir cette essence illusoire, transitoire, parfum existentiel d’une égérie miroitante, filmée au plus près, à jamais hors d’atteinte.

Alors, La Vénus à la fourrure laisse entrevoir ce qu’il pouvait être, alors, il s’élève loin de la diffusion inédite et logique sur une chaîne franco-allemande (ou à l’envers) aimablement brocardée, dans le cadre d’un cycle éponyme.

Fourrure ou pas, celle (à imaginer) endormie sur ses épaules ou la seconde (dissimulée) derrière sa culotte, l’héroïne demeure un beau mystère et l’actrice solaire, lunaire, la meilleure raison de (re)découvrir cet ultime opus, placé sous le signe supérieur et cependant mineur de Vénus.  

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