Le Gamin au vélo


Un métrage, une image : Shining (1980)


Nulle citrouille mais un enfant, un tricycle, un couloir (et un steadicam !) : il n’en faut guère plus, quand on s’appelle Stanley Kubrick, pour susciter l’inquiétude, mais rassurons-nous, car contrairement au fils de Barry Lyndon agonisant devant son père dévasté, ou à l’opposé de la fillette du couple glamour de son ultime film, entraînée par d’inquiétants vieillards qui veulent davantage, sans doute, que lui offrir un jouet de Noël, le petit Danny, futur Docteur Sommeil pratiquant l’euthanasie douce dans la suite adulte de ses aventures signées par Stephen King, contempteur notoire de l’adaptation par le réalisateur et Diane Johnson, survivra à sa classe de neige, ne se laissera pas happer par ce qui se cache derrière l’une des portes (vertes) de l’hôtel bâti sur un cimetière amérindien, malgré un miroir schizophrène et des jumelles à la Diane Arbus, porté par l'élan de son véhicule dont le bruit diffère magistralement suivant qu'il roule sur un parquet ou une moquette, pour rejoindre sa maman hystérique elle aussi saine et sauve (succombant plus tard à un cancer, hélas) dans une fuite concrète, tandis que son ogre de père les abandonna depuis longtemps dans sa propre fugue psychogénique – comédie noire (on rit beaucoup, comme devant Psychose ou Massacre à la tronçonneuse) éclairée par la lumière intérieure du titre, fable cruelle et hivernale sur la stérilité, l’impuissance à créer, à aimer, mélodrame familial sur une femme sous influence, un homme insomniaque, un bambin violenté (abusé sexuellement ?), œuvre ouverte et labyrinthique conçue pour provoquer le délire interprétatif, en présage des puzzles ludiques et mythologiques de Christopher Nolan ou de ceux bien plus sombres de David Lynch, Shining s’avère surtout un conte fées où le Petit Poucet triomphe du chasseur (dans sa nuit, bien sûr) transformé en bonhomme de neige, un film qui finit bien, puisque même l’écrivain raté, le père lamentable, finit par rejoindre ses fantômes chéris dans le temps éternel d’une photographie effectivement d’époque, avec une ironie douce-amère propre aux épilogues du cinéaste…

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