Curling : Un cœur en hiver
Suite à sa diffusion par ARTE, retour sur le titre de Denis Côté.
Dans ce long métrage d’un « Jeune
Turc » du cinéma québécois reconnu et primé (par exemple à Locarno) à l’extérieur de
sa « Belle Province », dont le documentaire-essai Que
ta joie demeure vient de sortir en France, il s’agit tout d’abord de se
prémunir du monde, de le tenir à distance, au sein morbide et rassurant de la maison (en écho à celle que doivent
atteindre les pratiquants du sport servant de titre), loin de la prison où
rumine et menace l’ancienne épouse, loin des paysages désolés d’un Québec
hivernal qui fait penser aux huiles sur bois de Pieter Brueghel l'Ancien, avec
pour motif, justement, une partie de curling
(Chasseurs
dans la neige et Le Trébuchet), peuplés de draps
tachés de sang, de cadavres gelés, d’enfant mort au bord de la route, de
voitures de police inquiétantes et bruyantes, sans oublier ce tigre incongru,
peut-être hallucinatoire, échappé d’un poème de William Blake. Les 7 Jours du Talion, son parfait contemporain, récit brutal de la
vengeance d’un père sur l’assassin pédophile de sa fillette, issu du même
territoire, procédait d’un semblable rétrécissement, l’asphyxie du huis clos mimant
celle des protagonistes (et du spectateur).
Fantôme qui s’ignore, à l’image de
Grace Stewart dans Les Autres, cherchant pareillement, inutilement, à protéger sa
progéniture du dehors – on songe également aux habitants « xénophobes »
du Village – ou plutôt bien trop conscient de son néant, du vide qui risque de
les avaler, lui et sa fille (paire itou dans la « vraie vie »), un
père de famille, symboliquement nommé Jean-François Sauvageau, décide de prendre la
fuite, de quitter la chair de sa chair – qu’il regarde danser sur une scie des
années 80, dans l’un des moments les plus drolatiques (savoureux idiomes pour
une oreille francophone !) et tragiques de l’œuvre – et le motel qui l’emploie, désormais fermé,
victime économique parmi d’autres, pour s’accorder un répit en solo, un baume à sa douleur
existentielle. Hélas, la victoire-valse ne survient qu’en rêve, et l’amour de
hasard prend la couleur de l’argent avec une prostituée aux airs de femme d’à côté.
Mais le réalisateur aime son couple terriblement
humain dans son étrangeté, décide de lui accorder une seconde chance :
l’épilogue les voit réunis par la tendresse et les sourires dans la lumière
ensoleillée d’une renaissance au sein de la communauté, sous la forme d’une
partie de luge (« Rosebud » ?) parmi des dizaines de gamins et
de parents, que précède une caresse sur une moustache disparue, rempart
dérisoire au centre d’un roman (et d’un film) « métaphysique » d’Emmanuel
Carrère. Le vent anxiogène, contre lequel luttait déjà Lillian Gish chez
Sjöström, pour une autre parabole paranoïaque, « naturelle » bien
plus que naturaliste, s’évanouit, et la comédie noire (comme Isabelle, barmaid
un peu goth), blanche (comme la
neige-linceul) et grise (comme les intérieurs et « le ciel bas et lourd »,
couvercle baudelairien étouffant les personnages) se révèle fable optimiste sur
la paternité, l’humanité retrouvée des nouveaux départs, la force de vie
donnant sa belle respiration au happy end,
car l’essentiel, ici aussi, ne réside pas dans le fait de vaincre mais « simplement »
de participer, de vivre enfin, donc, toujours à deux mais désormais ensemble et
avec autrui.
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