Alice n'est plus ici : Les Fugitifs


Veuve et mère, avec des rêves de chanteuse et peu d’argent, Alice Hyatt prend la route. Elle quitte à jamais Soccoro, Nouveau-Mexique (« Soccoro sucks ! » lâche-t-elle en guise d’adieu) et met le cap sur Monterey, Californie, Eldorado de sa jeunesse. Elle va vite découvrir ce qu’apprennent tous ceux qui voyagent : l’itinéraire compte plus que l’arrivée, par ses rencontres, ses dangers (terrifiant Harvey Keitel), ses révélations sur soi-même. Au bout du chemin ne l’attendent ni la gloire ni le retour à l’âge d’or, mais un prince charmant aux allures de cow-boy (tendre Kris Kristofferson) et une famille à réinventer...

Avec cette comédie sentimentale méconnue, Martin Scorsese prend lui aussi la belle tangente, délaissant les chroniques urbaines ou les biographies funèbres à venir. Son beau portrait de femme, incarnée par la lumineuse Ellen Burstyn (justement récompensée d’un Oscar), annonce celui du personnage de Michelle Pfeiffer dans Le Temps de l’innocence, troisième volet d’une trilogie féminine entamée avec Bertha Boxcar sous les traits de Barbara Hershey, où les héroïnes, énergiques, passionnées, vivantes, tentent de trouver une place dans un monde d’hommes qui ne vaudrait rien sans elles, comme le chantait si bien James Brown.      


Des faux airs de Marilyn Monroe chantant la rivière sans retour

Conversation (presque) secrète

Los Angeles, Californie, 1974

- Martin Scorsese ? Ellen Burstyn. Vous allez bien ? Je tiens votre numéro de Francis Coppola. On peut parler quelques minutes ?

- Bien sûr, Ellen. Je vous écoute. Et félicitations pour votre rôle dans L’Exorciste. Billy Friedkin vous doit beaucoup.

- Merci, Marty. Je peux vous appeler Marty ?

- Mes amis le font, dont Francis. Dites-moi tout, et désolé si je parle trop vite !

- Voilà. J’aimerais bien monter un projet autour d’un script qui me tient à cœur, l’histoire d’une femme au tournant de sa vie, qui décide de s’en aller, de tenter sa seconde chance ailleurs.

- Vous savez ce que disait Fitzgerald sur l’absence de deuxième acte dans la vie d’un Américain.

- Oui, je sais, mais il ne devait pas penser à une femme en écrivant cela ! Marty, on possède un très bon scénario, mais il faut le retravailler, et, surtout, on doit dénicher un réalisateur à la hauteur, jeune, enthousiaste, plein de fougue !

- Vous faites ma description, mais je dois vous avertir d’un problème…

- Lequel ?

- Je ne connais rien aux femmes !

- Mais, ne m’en veuillez pas, vous vivez bien avec Sandra Weintraub, de la Warner, qui va produire Alice ?

- Oui, mais si vous regardez Mean Streets, vous verrez que je maîtrise plutôt les groupes de garçons, leurs désirs, leur violence, leur caractère enfantin, ou, disons, puéril.    

- Rassurez-vous : vous pourrez aussi parler des hommes, avec les trois personnages principaux masculins, dont le fils d’Alice.

- Laissez-moi réfléchir une seconde. Je pourrais m’essayer à la comédie sentimentale, et faire du même coup un film musical… J’adore la musique, vous comprenez. Je rêve de réunir mon ami Bob De Niro et Liza Minnelli dans un musical en hommage à son père. J’espère que ça se fera un jour !

- Vous devriez aussi capter un peu de l’air du temps, cette émancipation des femmes au quotidien, sans grand discours ni manichéisme militant, vous voyez ?

- Un film d’amour entre adultes, donc ?

- Exactement, et un beau « véhicule », pour de belles actrices.  

- Vous pensez à quelqu’un en particulier ?

- Oh, oui : Lelia Goldoni, qui débuta dans Shadows, Laura Dern, Valerie Curtin…

- En parlant de Cassavetes, vous savez que John tourne Une femme sous influence, qui ressemble pas mal à ce que vous me racontez…

- Notre film, Marty, on le placera sous le signe de la fuite, de l’échappée ; on ne restera pas dans l’enfer du foyer conjugal, Alice fera de nombreuses rencontres et elle influencera pas mal de monde, au lieu de subir le pouvoir de ceux qu’elle aime, contrairement à cette pauvre (et magnifique) Gena Rowlands !

- Bon, je crois que je peux faire quelque chose de votre invitation, chère Ellen, d’autant plus si vous me laissez injecter, ici et là, des motifs en lien avec mon éducation catholique et quelques références cinéphiliques. On parle aussi d’une jeune actrice, Jodie Foster, qui me semble très prometteuse. 

- Vous verrez, ce film vous ressemblera peut-être plus que vos récits autobiographiques de mauvais garçons…

- Mais il vous appartiendra également, Ellen. On peut se rejoindre aux studios à Burbank ?

- Je prends mes clés de voiture et j’arrive !

- Merci, Ellen ; à tout de suite !

Les merveilles du pays d’Alice


Une enfance hollywoodienne : Dorothy arpente Tara dans un crépuscule fordien


Femme au foyer désespérée littéralement coincée dans son quotidien ménager


Bénédicité sur fond de calices et de papier peint appelant à l’évasion


L’amie de cœur entre ombres et lumière dans un salut à Cassavetes


La chanteuse s’accompagne en écho au Fantôme du Paradis


La route irrésistible ouvre le champ des possibles


Une star sans paillettes pour ré-enchanter les longues journées d’un enfant


Un voyage sémantique dans une Amérique de bars, motels et supermarchés


Mère et fils au soir de leur odyssée


Surcadrage de l’intimité féminine


Seul devant l’écran cinéphile : « Marty » filme son autobiographie


Protéger sa progéniture mais sans exorcisme


Violence domestique sous le regard du petit témoin


La fable du scorpion et de la grenouille qu’il se doit de piquer « par nature »


L’immense ciel sudiste au-dessus d’un massacre à la tronçonneuse


Perdus entre les cactus d’un désert sentimental


Humour surréaliste et symboles identitaires


Érotisme œdipien et pietà inversée


Working class heroes


Regard caméra désabusé à la façon d’un aparté au théâtre


Retrouver ici et maintenant l’Ouest des origines


Famille recomposée avec guitares à l’unisson


Americana onirique et réaliste à la Norman Rockwell au creux des années 70


Femmes entre elles et individus à part entière


Bain de soleil bergmanien


Naissance de l’amour et du désir


Une romance entre adultes


Couple précoce


La ballade de la conductrice en larmes


La bonne fée, déjà maman de Lula, munie d’un crucifix en épingles de sûreté


Une déclaration parmi un chœur contemporain de prolétaires


Arrivée ironique entre les bras d’un amour maternel parfois étouffant

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