The Dead : Plein soleil


Dans une Afrique en proie aux zombies, un ingénieur de l’armée américaine s’écrase en avion. Avec l’aide d’un déserteur local, il va tenter de rejoindre un aéroport. Au bout du voyage, après la mort de Daniel qui lui servait de guide, et d’ami, Murphy échoue dans une enclave sur le point de tomber. Comme il apprend qu’un même sort s’abat sur son pays, survient le fils de son ancien compagnon... Et maintenant ?

Cette aventure d’horreur solaire orchestrée par deux regards déplace une mode jusqu’au berceau de l’Humanité, pour une fable antique sur la sauvagerie et la famille.   


Un nomade s’avance dans un vibrant désert jaune : cette ouverture en fondus, écho du long plan de l’apparition d’Omar Sharif dans l’immortel Lawrence d’Arabie, plante un décor et un personnage trompeurs ; nous apprendrons vite qu’il s’agit d’un Américain aux dents éclatantes, qui cherche à atteindre une base militaire dans une Afrique de l’Ouest infestée de zombies… Et nous comprendrons pourquoi il ne tue pas celui qui surgit en premier, son tibia apparent, le récit, sous la forme d’un long retour en arrière, révélant les étapes d’une odyssée au terme de laquelle cet ingénieur mécanicien retrouvera lui aussi un enfant, mais pas le sien et pas dans son pays.


Un homme cherche donc à rentrer chez lui, rejoindre sa femme et ses enfants qu’il ne peut désormais apercevoir qu’en rêve, où ils sortent de la maison familiale au ralenti pour se jeter dans ses bras, vétéran tout sourire qui déchante bien vite tant le principe de réalité ronge le rassurant chromo. Non, il ne parviendra pas à regagner son foyer, l’espace du film le retenant prisonnier d’une savane uniquement horizontale, sans ciel et sans machine pour le gagner (la carlingue d’un avion en ruines en témoigne). Sa quête ironique d’un horizon, d’une fuite céleste, aboutit à un aérodrome pris d’assaut par la horde. Déjà au début il chutait des cieux nocturnes, tel Icare ; à la fin, aucun avion ne l’attend plus – son destin le condamne à rester sur terre, et son métier ne lui sert guère qu’à réparer une radio par laquelle il apprend d’un supérieur que personne ne viendra le sauver.


Au cours de ce voyage picaresque qui emprunte la forme du western contemporain, illustrée notamment par le Clint Eastwood d’Un monde parfait, les héros fatigués se racontent au coin du feu, cernés par des ténèbres non plus remplies d’Indiens mais d’Africains atteints par une étrange maladie, due à une morsure d’animal, ou, pense le sorcier d’un village, à un châtiment divin qui punirait l’humanité de son avidité. Du reste, poursuit-il, la nature finira bien par rétablir son fragile équilibre, et il ne semble pas terrifié par le présent cauchemardesque, car il s’inscrit dans une temporalité qui inclut le passé et le futur. Comme il le dit lui-même, né ici, il mourra ici.


Après Équateur de Gainsbourg, le film adopte le tempo de la lenteur africaine, cet écoulement du temps qui s’oppose à l’urgence du danger, de la situation, et qui lui donne son rythme particulier, presque schizophrène, le grand massacre, les cadavres jetés sur un brasier, les mères dévorées, toute cette violence graphique se déroulant dans une sorte d’engourdissement onirique, de fatigue existentielle qui prennent leur source tout autant dans un sentiment de fatalité, d’impuissance, que dans le poids physique du soleil, de la chaleur, qui ne diminuent pas, qui font chauffer les moteurs d’autos et assèchent l’âme et le cœur.


Car cette fin du monde qui se déploie en plein soleil prend place dans un autre sous-genre filmique, celui de l’horreur solaire, dont Shining demeure un exemple indépassable. Ici, tout se passe en pleine lumière, ici, mêmes les nuits s’éclairent de phares ou de feux. Cette absence d’ombre, d’alternance véritable entre le jour et la nuit, procède bien sûr de l’imagerie eschatologique, qui renverse les grands cycles jusqu’à la confusion (citons la nuit soudaine qui accompagne le dernier soupir du Christ). Dans ce monde où l’on ne peut plus se permettre de souffler, de boire, de rêver, les hommes sans ombre, ombres eux-mêmes, se déplacent avec la langueur des grands blessés, des victimes ressuscitées de toutes les guerres, de tous les génocides. Cette fable de survie, par son cadre même, s’enracine dans la mémoire visuelle des grandes tueries coloniales et ethniques, telle un palimpseste de l’Histoire (et un autre film anglais sur l’Afrique affleure sous ces images, le célèbre Zulu).

L’Ulysse noir qui accompagne le soldat blanc, qui le reflète grâce à un apprivoisement mutuel, n’ira pas jusqu’au bout. De cette amitié par-delà les préjugés il faudra aussi se défaire, à peine éclose que brûlée par le grand mal. Il en reste un bijou symbolique, un espoir aussitôt reconnu par l’enfant désormais orphelin, et qui l’unit à cet étranger qui devra lui aussi faire le deuil de ses proches. L’ultime plan les rassemble face aux monstres autrefois humains, autrefois comme eux, dans le chaos du siège tombé. Survivront-ils, parviendront-ils à créer une nouvelle famille, à la façon dont les hommes du village, auparavant divisés, vivent ensemble depuis l’épidémie ? Le film ne nous le dit pas, mais une suite se prépare…


Par son sérieux, par ses moyens limités mis au service d’une histoire linéaire mais étayée par plusieurs niveaux d’émotion, cette nouvelle aventure de morts très à la mode paie son tribut au film séminal de Romero, en inversant toutefois le schéma racial : non plus un héros noir au milieu de Blancs (et de rednecks, qui finiront par l’assassiner) mais un héros blanc au milieu du peuple africain, celui des origines. Plutôt que d’y lire une métaphore politique – et l’on sait la part de hasard dans le choix de distribution de La Nuit des morts-vivants –, rattachons l’œuvre à un autre pan du cinéma d’aventure, celui du Hollywood des années 30 et 50, mais auquel le duo à quatre mains, à tous les postes essentiels sauf la musique, injecte un réalisme horrifique comme un salut à un autre grand film d’aventures, qui revenait aux fondements des légendes et de l’imaginaire cinéphile : L’Enfer des zombies, du maestro Fulci.

Ainsi les frères bouclent-ils la boucle, dans un tribut au cinéma bien plus qu’au jeu vidéo. Au petit jeu de l’anachronisme, on verrait bien Errol Flynn troquer ses collants de justicier forestier pour l’uniforme du GI, dirigé par Tourneur père ou fils, dans une relecture des grands récits de l’âge classique, mais mâtinée de l’impact du documentaire entré par effraction dans la fiction des années 60. Ce film de zombies ne s’impose donc pas comme une allégorie politique ou une satire sociale, mais comme le descendant d’une généalogie glorieuse, celle de divertissements habiles et exotiques, superficiels et sympathiques. Et à tous les morts, ceux de l’histoire qu’il raconte, morts en marche et vivants pas encore morts, et ceux d’un cinéma mort et enterré par la vulgarité et le bruit de pirates aux Caraïbes, disons, ce film bien nommé rend finalement hommage.

Commentaires

  1. Un cinéma de genre occidental qui met les pieds en Afrique, c'est à la fois original et courageux. Sans apporter une lecture politique au récit porté par le film, est-ce que de voir des zombies en Afrique doit nous inquiéter pour autant ? Les morts-vivants étant à la mode, les scénaristes cherchent des territoires nouveaux à explorer, quoi de mieux qu'un continent oublié par le cinéma commercial ? Ou bien s'agit-il de la main-mise par l'imagination (autrement dit de la traduction fantastique) de cette 'décennie du chaos' jadis signalée par les spécialistes et qui en fait jamais ne finit ?

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    1. Merci du commentaire.
      Votre lecture rejoint la nôtre : le cinéma d'horreur, en Afrique ou ailleurs, reflète souvent les violences de l'Histoire, contemporaine ou passée. Cela se vérifie notamment avec la nouvelle vague fantastique hispanique, rouvrant les blessures franquistes ("Abandonnée", traité ici même, ou le plus ancien "La Résidence", présent aussi sur le blog), sans oublier "Rabies", 'le premier slasher israélien', métaphore d'un conflit qui n'en finit pas non plus, dans le cadre forestier de la tragédie grecque...
      Sur le cinéma africain, nous attendons avec impatience "Timbuktu", le dernier film d'Abderrahmane Sissako, en compétition à Cannes cette année, présenté ci-dessous... :
      http://www.arte.tv/sites/fr/olivierpere/2014/05/15/cannes-2014-jour-2-timbuktu-dabderrahmane-sissako-competition/

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