Inseminoid : La Cité des femmes


Une mission archéologique met à jour les restes d’une civilisation régie par la gémellité sur une planète inhospitalière. Les événements commencent à devenir incontrôlables sous l’action de cristaux qui songent. Sandy, l’une des scientifiques, subit un viol extraterrestre. Les créatures déciment rapidement le personnel essentiellement féminin de la base. Vingt-huit jours plus tard, le temps d’un cycle menstruel, une seconde mission atterrit…   

Ce film de science-fiction, réalisé avec peu de moyens mais une grande ambition, transforme un  « heureux événement » en survival féministe qui débouche sur une fin du monde parmi d’autres, celle de l’espèce humaine. 
  

Avant de signer le réussi Réveillon sanglant, où le fantastique s’incarne dans les objets du quotidien, démontrant et délivrant leur charge de nocivité (un postulat identique à celui du sympathique mais moins abouti Démon dans l’île de Francis Leroi), Norman J. Warren nous fait découvrir une menaçante planète prompte à décimer les missions qui s’y succèdent. Cinéaste astucieux, il parvient avec un budget dérisoire – pléonasme du genre – à élaborer un thriller soigné, qui reprend la structure exogène de l’horreur : le Mal provient de l’extérieur, il ne se situe pas d’emblée à l’intérieur (des personnages et donc du spectateur), même s’il finit bien sûr par le contaminer, par traverser la frontière jusqu’à l’impossible discernement, en toute bonne logique paranoïaque. The Thing de Carpenter demeure l’indépassable sommet de cette façon de raconter l’horreur, tandis que La Nuit des masques utilisait une structure endogène, avec un enfant fou (l’inspiration réelle du cinéaste), dont la psychopathologie parvenait à se répandre dans chaque rue d’une petite banlieue résidentielle, jusqu’à souiller le sanctuaire du foyer, lors du dénouement d’un drame véritablement familial, mais élargi à des proportions mythiques, voire cosmiques.


Ce film au titre significatif pratique quant à lui les deux modes de narration. L’horreur vient du dehors, d’une civilisation défunte et autodestructrice, que les voyageurs humains ne peuvent totalement comprendre. De ce noyau irréductible d’altérité, ils cherchent à décrypter les traces laissées sur des murs de pierre, comme nous peinons à lire les peintures rupestres de nos aînés. Mais l’horreur vient aussi du dedans, elle utilise le corps – et spécialement celui des femmes – pour surgir au grand jour gris de ces interminables souterrains, avant de monter à bord d’un autre vaisseau, dans l’ultime plan, passagère clandestine dédoublée prête à essaimer sur notre planète, à la détruire avec une belle santé, un bel appétit : « Croissez et multipliez-vous ». L’histoire s’achève là où débutait celle de son glorieux prédécesseur, le huitième passager (on notera d’ailleurs dans les deux œuvres la présence en miroir de femmes en sous-vêtements immaculés, nouvelles vestales de l’âge spatial).


Les hommes ici se contentent de faire de la figuration, car impuissants ou aveugles. Si l’action se déroule intégralement dans ces catacombes extra-terrestres, on se tromperait en ne l’imputant qu’à des raisons économiques. D’une part, ce décor naturel produit l’effet d’enfermement, de claustrophobie requis, sans aucune lumière diurne, permettant à la chasse de se déployer dans des galeries sans issue, labyrinthe mortel où les souris de laboratoire ne courent que vers leur trépas, mais encore, toute cette imagerie utérine renvoie de fait à ce qui constitue le cœur de la fiction, à ce qui très vite séduit et questionne dans ce huis clos entre deux espèces, vieille histoire darwinienne de sélection naturelle : une allégorie des affres de l’enfantement, une aventure intérieure dans l’anatomie et l’esprit d’une femme (signalons qu’un couple hétérosexuel rédigea le scénario).


Nous voici donc au sein d’une galerie de personnages féminins, qui représentent chacun à sa façon une facette particulière de la psyché féminine, de son apparence. Deux femmes se détachent de ce gynécée. Tout d’abord, celle en charge de la mémoire, la documentariste qui ouvre le film de sa voix, démontrant la puissance de la parole, du récit, et faisant de la fiction une enquête à la fois interne et externe, une autobiographie sentimentale. Ce personnage tout de raison, de maîtrise, vrai témoin qui sait écouter, possède les traits racés de la radieuse Stephanie Beacham. Ensuite, celle en charge de la procréation, qui se projette dans l’avenir grâce au fruit de ses entrailles, même si l’Étranger lui impose ce rôle, actualise son potentiel. Judy Geeson livre ici une impressionnante performance, son visage déformé par la rage et la souffrance du travail, son intimité soumise aux fluides humains et inhumains. D’autres visages, d’autres avatars les accompagnent, formant une planète à l’intérieur de la première, aussi énigmatique, aussi fermée, dont la chair autrefois chaude et douce accueillera tous les hommes présents et à venir dans ses replis mortels, comme autant de corps ensevelis. 

    
           Car la nécropole de l’ouverture ne laisse aucun doute sur le déroulement du récit, et les chances de survie des équipages. Tous périront, en proie à la malédiction du lieu, ne sachant lire l’avertissement lapidaire, la prophétie qui les concernent. Ils atterrissent, littéralement, dans un cimetière, et ils iront bientôt rejoindre les autres dépouilles dans leurs tombeaux. De ce rêve mortifère autour de la naissance monstrueuse, personne ne sortira vivant, à l’exception de la sanglante progéniture. Fils de la Femme et survivance du grand massacre, les jumeaux maléfiques se cachent dans une malle touristique pour lancer une colonisation à l’envers. Alors qu’Alien se terminait sur une victoire, sur la renaissance d’une femme forte et libre (mais seule aussi : dans l’espace, personne ne vous entend pleurer), tout espoir s’efface devant ces faces de gargouilles. Le mausolée ne se réduit plus à un astronef abandonné sur une planète morte, où trône un squelette démesuré terrassé par on ne sait quel animal iconique d’une incroyable vélocité, mais il prend les dimensions de l’univers tout entier, condamné à répéter à grande échelle un génocide de civilisation.


Dès lors, une lecture eschatologique s’impose. Malgré la parturiente, malgré le roman familial des images du générique, qui évoquent les mystères de l’organisme et de l’accouplement avec les métamorphoses et les réactions d’une simple goutte d’huile, malgré les enfants terribles venus semer le chaos et l’amorale sauvagerie, cette topographie d’une Planète interdite aboutit à cette tragique équivalence : l’utérus s’avère caveau (l’anglais l’énonce encore plus clairement dans l’euphonie womb/tomb). Cette vérité première se dérobe à toutes les interprétations féministes qui polluent cette allégorie placée sous le signe du déclin et n’y voient qu’un vil fantasme misogyne. La matrice inséminée par la mort ne peut plus donner la vie, mais rien qu’un simulacre obscène de vie, se nourrissant de chair et de sang, celui de tous les hommes et de toutes les femmes, et le film peut se lire comme la rêverie cruelle d’un dieu malsain, acharné à nous nuire, à défaire les liens de l’espèce et de sa survie élémentaire. Dans ce parfum de sépulcre stellaire réside bien le charme du poème saturnien de quatre sous.

Commentaires

  1. Excellente chronique, ton analyse du film est parfaite.
    Chapeau JP !

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    1. Merci Sebastien ! Visionné comme toi ce titre chez Neo Publishing ; te recommande aussi, du même auteur, "Réveillon sanglant"...

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